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Location meublée et parahôtellerie

Démêlez les noeuds de la fiscalité
jeudi, 22 juin 2023 20:40

TVA et parahôtellerie : il faut que tout change pour que rien ne change

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J'ai assisté à l'audience du Conseil d'Etat portant sur la demande d'avis de la CAA de Douai formulée par une décision du 2 mars 2023 (22DA01547).

Rappelons que la Cour a posé les deux questions suivantes au Conseil d'Etat :

- Les dispositions du b. du 4° de l'article 261 D du code général des impôts, en ce qu'elles subordonnent l'absence d'application de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée aux locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation, s'agissant des prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni à usage d'hébergement effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, à la réalisation d'au moins trois des prestations définies à ces dispositions, sont-elles compatibles avec les dispositions de l'article 135 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 '
- En cas de réponse négative à cette question, la fourniture de seulement une ou deux des prestations définies au b. du 4° de l'article 261 D du code général des impôts suffit-elle pour considérer que l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée ne s'applique pas aux prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni à usage d'hébergement effectuées à titre onéreux et de manière habituelle '

Le rapporteur public, M. Romain VICTOR a formulé des observations concluant principalement aux points évoqués ci-après.

Il a d'abord fait remarquer que le développement des offres de location par internet type AIRBNB devait être pris en compte car ces offres faisaient concurrence au secteur hôtelier et que le régime légal actuel avec ses 3 critères sur 4 n'était pas adapté pour prévoir l'assujettissement à la TVA de ce nouveau type d'hébergement. Il suffit en effet par exemple de ne remplir que 2 critères sur 4 pour ne pas être assujetti.

Il a rappelé qu'il faut retenir une interprétation extensive de l'assujettissement à TVA et donc une interprétation resctrictive des cas d'exonération.

Il a proposé ensuite de reprendre la solution déjà donnée sur l'ancienne version du texte, par la décision du Conseil d'Etat du 11 juillet 2001 (n° 217675, min. c/ Lejeune : RJF 10/01 n° 1211) et celle du 27 février 2006 (n° 258807, 8e et 3e s.-s., Sté Hôtel de Provence, RJF 5/06 n° 514).

En effet, l'ancienne version du texte imposait 4 services obligatoires sur 4 et avait été déclarée non conforme par le Conseil d'Etat et remplacée par une nouvelle version en 2003, dont la validté était déjà douteuse dès le départ car, même si elle réduisait le nombre de services obligatoires à 3, elle maintenait selon moi une conception trop restrictive de l'assujettissement à TVA. En plus, cette conception restrictive de l'assujettissement prévue par la loi était aggravée par la doctrine administrative qui exigeait un ménage intermédiaire. Et cette doctrine, selon moi illicite, était pourtant largement validée par les tribunaux en cas de litige, au mépris du respect du droit européen.

Si l'avis du rapporteur public était suivi, le Conseil d'Etat reprendrait exactement la même position que celle déjà retenue sur l'ancienne version du texte dans les décisions précitées, en l'apppliquant à la nouvelle version du texte, c’est-à-dire :

- le régime légal est incompatible avec le droit européen,

- les critères prévus sont trop restrictifs pour caractériser une activité faisant concurrence au secteur hôtelier,

- les dispositions légales restent valides dans leur principe puisqu'elles visent à prévoir l'assujettissement des activités faisant concurrence au secteur hôtelier et le juge doit, au cas par cas, apprécier l'existence d'une concurrence potentielle avec le secteur hôtelier, plutôt sur la base d'indices de concurrence que sur la base de critères précis, la durée pouvant être retenue comme un indice.

La position du rapporteur n'est pas une surprise et c'était ce qui était attendu.

Je trouve juridiquement très curieux cette possibilité de dire qu'un texte est à la fois contraire au droit européen tout en permettant son application sur la base d'une réinterprétation excluant l'essentiel de son contenu.

Les remarques générales du rapporteur sur la question étaient globalement sans surprise, avec toutefois une remarque assez étonnante sur le critère de la durée : si un établissement interdit les séjours d'une nuit et impose des séjours à la semaine ou au mois, ce serait un indice de non-concurrence avec le secteur hôtelier.

Il est très probable que le Conseil d'Etat suive ses conclusions.

Il est également probable que le texte soit à nouveau modifié pour prévoir cette fois un régime de faisceau d'indices au lieu d'un régime de critères cumulatifs trop précis, en reprenant les mêmes services comme autant d'indices d'une activité pouvait faire concurrence aux hôtels. Il est possible que soit rajouté dans les indices celui de la durée du séjour.

Une telle nouvelle définition de la parahôtellerie serait beaucoup plus vague et incertaine que la définition actuelle, mais permettrait de maintenir l'assujettissement à TVA (selon moi incohérent) de la parahôtellerie longue durée, et de réduire les risques de remise en cause de l'assujettissement des activités de meublé touristique qui font nécessairement concurrence au secteur hôtelier.

Il faut attendre la décision du Conseil d'Etat, puis le nouveau texte, et la nouvelle doctrine administrative le commentant. Il n'est pas exclu la même méthode de l'administration fiscale consistant à retenir une interprétation restrictive de la nouvelle loi, pour réduire les cas d'assujettissement.

Un autre point est l'éventuelle conséquence de cette nouvelle définition de la parahôtellerie au regard de l'impôt sur le revenu, et plus généralement de la définition de la location meublée en droit fiscal.

La doctrine actuelle des services fiscaux définissant la parahôtellerie, au sens de l'impôt sur le revenu, renvoie au régime TVA et il y a lieu de se demander si ce renvoi restera en vigueur si le régime TVA est modifié. C'est probable, et cela pourrait permettre de faire sortir certaines activités de meublé touristique de la qualification de location meublée, ce qui paradoxalement viendrait consolider un peu la pertinence du renvoi (par ailleurs illégal). Mais cela aurait également pour conséquence un risque de litige plus important, avec une définition moins précise et basée sur des indices.

D'une manière générale, toute cette histoire est étonnante. C'est du cinéma (fiscal).

En effet, l'assujettissment à TVA est en fait très souvent un avantage et c'est souvent un combat à front renversé : les exploitants parahôteliers ont généralement intérêt à être assujetti à la TVA car cela leur permet de récupérer la TVA sur leurs dépenses. D'ailleurs, je n'ai jamais vu de rappel contre un contribuable qui aurait omis de soumettre ses recettes à TVA mais j'ai vu de nombreux rappels basés sur la contestation de l'assujettissement à TVA ce qui permet à l'administration de contester le remboursement de la TVA grevant les constructions ou les travaux. Les petits exploitants qui n'ont pas intérêt à être assujettis (cas de l'exploitation d'un immeuble ancien) sont de toute façon protégés par le régime de la franchise de 91 900 € (à laquelle on peut renoncer, si on y a intérêt ce qui crée un régime d'option de fait).

Par ailleurs, la TVA sur les recettes  est à 10 %. Le taux réduit de TVA est une forme de subvention publique et j'ai un peu de mal à comprendre en quoi l'activité touristique mérite une subvention publique.

La fait que la parahôtellerie soit assujettie à TVA est notamment un avantage pour les exploitants de résidence parahôtelière dont beaucoup ne font pas concurrence aux hôtels. Donc leur assujettissement à la TVA est non conforme au droit européen. 

Le choix de l'Etat français semble être d'accepter facilement l'assujettissement à la TVA des entreprises de parahôtellerie longue durée, mais de restreindre celui des petits parahôteliers courte durée, comme les meublés de tourisme, l'Etat préférant financer les gros projets de la promotion immobilière que ceux des petits exploitants.

Mais tout laisse à penser que ce système douteux va perdurer, tant mieux pour les exploitants parahôteliers (et leurs clients).

Pour un autre éclairage d'un grand expert en TVA : voir William STEMMER TVA – Parahôtellerie ("3 services sur 4") – conclusions du rapporteur public – « same player shoot again » ? Un nouveau régime en vue ? – Taximmo 

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2 Commentaires

  • Lien vers le commentaire Duvaux Paul samedi, 24 juin 2023 03:58 Posté par Duvaux Paul

    Réponse à David : à ce stade tout l'article comporte des supputations qu'il faut éviter de considérer comme des certitudes. Il faut attendre l'arrêt du Conseil d'Etat, la nouvelle définition légale de la parahôtellerie et la nouvelle doctrine administrative qui s'en suivra et en attendant le régime ancien reste applicable. Je vous rappelle le titre de l'article : il faut que tout change pour que rien ne change. Cela veut dire que, en pratique, il est fort probable qu'il n'y ait en fait aucune modification significative.

  • Lien vers le commentaire david vendredi, 23 juin 2023 15:45 Posté par david

    Mais alors seules les réservations une nuit seraient soumises à la TVA??? puisque les autres n'entrent pas en concurrence

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