Les agents des impôts comme vérificateurs
Lorsqu'un vérificateur engage un contrôle fiscal, son objectif est souvent de faire du chiffre, c'est à-dire agir pour que le contrôle fiscal donne lieu à des rappels les plus élevés possible.
Voir sur cette "course au rendement statistique", les développements intéressants d'un universitaire, Marc Leroy, "l'approche sociologique du contrôle fiscal" page 28.
En pratique, les agents des impôts notifient des rappels trop souvent délirants, totalement hors de proportion avec l'impôt soit disant éludé.
Dans mon cabinet, je reçois souvent des contribuables victimes de ces excès.
Je précise qu'une majorité des rappels sont parfaitement justifiés, et même relativement anodins.
Mais, certains rappels sont excessifs, et cela résulte selon moi notamment de cette politique du chiffre, le "rendement".
Les agents en charge d'une procédure de contrôle fiscal sont en partie rémunérés sur la base des résultats de leur contrôle. Ils reçoivent en effet des primes qui ne sont dues que si certains résultats sont atteints en terme de rappels notifiés et en terme de rappels recouvrés. De plus, ils sont notés sur ces résultats. La notation détermine leur avancement. Enfin, leur réputation dépend de leur capacité à faire du chiffre.
Bien entendu et heureusement, de nombreux agents des impôts résistent à cette tentation du rappel absurde ou délirant. J'en rencontre régulièrement dans les procédures. Ils sont particulièrement méritants.
Il n'en demeure pas moins que la culture interne des services fiscaux est basée sur la valorisation des rappels.
Malheureusement, le système fiscal français prévoit de très nombreuses situations qui permettent aux contrôleurs de majorer les rappels. Le régime des sanctions et des pénalités est souvent délirant. La moindre omission de déclaration peut se révéler catastrophique.
Par exemple, les contribuables négligents qui traversent une passe personnelle difficile, qui ne vont plus chercher leur courrier en recommandé, qui ne sont pas assistés par un avocat fiscaliste, peuvent, par le jeu des pénalités faire l'objet de rappels totalement hors de proportion avec leurs revenus réels et leur capacité de paiement.
La procédure fiscale permet des recours hiérarchiques. C'est heureux et cela permet dans certains cas d'éviter certains excès.
En pratique, de nombreux contrôles font l'objet de compromis au stade du recours hiérarchique.
Mais cela présente un effet pervers : certains vérificateurs ont une tendance naturelle à faire des rappels élevés, en prévision de la négociation à venir au moment du recours hiérarchique.
Il y a alors de facto un partage des rôles : les vérificateurs font des rappels excessifs, et même dans certains cas délibérément contraires à la loi. Et puis ensuite, l'inspecteur principal ou l'interlocuteur, dans le cadre des recours hiérarchiques, acceptent de réduire les rappels, par exemple en accordant une remise sensible des pénalités.
Par exemple, en matière d'abus de droit, il existe une pénalité de 80 %. Or, dans de nombreux cas, l'existence d'un abus de droit est très discutable. Le Conseil d'Etat, lui-même, a bien du mal à définir une théorie cohérente du concept d'abus de droit. Certaines pratiques ont pu être présentées pendant des années comme des abus de droit puis finalement être reconnues comme parfaitement valides, et inversement. Malgré les doutes fréquents sur la définition de la notion et la validité de certains schémas, les agents appliquent systématiquement la majoration de 80 % aux rappels en matière d'abus de droit. Et puis souvent ensuite, ils proposent de faire la remise de cette pénalité en échange de l'acceptation du rappel par le contribuable.
Cette stratégie est souvent très efficace car les contribuables sont généralement demandeurs d'un compromis et tout heureux de pouvoir obtenir des remises de pénalité.
Mais ces pratiques sont contestables.
Tout d'abord, elles aboutissent souvent à des injustices et des rappels absurdes. Il y a des injustices quand les rappels délirants ne font pas l'objet d'une remise pendant les recours hiérarchiques, par exemple parce que le contribuable ne sait pas bien se défendre.
En théorie, il est toujours possible ensuite de contester les rappels devant les tribunaux mais, en pratique, les juges fiscaux n'ont pas toujours la compétence suffisante pour déceler et censurer les irrégularités des agents des impôts. De plus, généralement, les juges fiscaux, sur les questions de droit comme sur les questions de fait, ont tendance à prendre la thèse de l'administration pour argent comptant et à valider les rappels. Il est vrai que les tribunaux sont surchargés et que les magistrats ne disposent pas toujours d'un temps suffisant pour étudier les dossiers.
De toute façon, dans de nombreux dossiers, les contribuables n'ont pas les moyens financiers suffisants pour supporter les conséquences d'une procédure contentieuse.
Il faut rappeler que, en cas de mise en recouvrement d'un rappel, délirant ou pas, le contribuable ne peut obtenir un sursis de paiement que s'il peut présenter des garanties suffisantes comme une caution bancaire ou une hypothèque immobilière. En pratique, ce n'est pas toujours possible.
Par ailleurs, engager une procédure contentieuse n'est pas facile à supporter au plan psychologique.
Pour faire face à un contrôle fiscal, mieux vaut être riche et en bonne santé.
Lorsqu'une entreprise fait l'objet d'un rappel contestable et qu'elle ne peut pas le payer, elle peut certes le contester en justice et demander un sursis de paiement. A supposer qu'elle puisse présenter une garantie et obtenir ce sursis, elle risque de toute façon d'être gravement mise en difficulté. En effet, le comptable de l'administration fiscale inscrit systématiquement au registre du commerce le montant de sa créance au titre du privilège du Trésor. Or cette inscription est publique et peut aboutir à détruire la réputation de l'entreprise et sa note de solvabilité.
Par ailleurs de nombreux rappels acceptés dans le cadre des compromis ne présentent aucun intérêt pour le Trésor Public.
Je pourrais citer le cas d'un compromis où l'administration avait renoncé à un rappel d'impôt sur les sociétés en échange d'une acceptation d'un rappel de TVA, qui, au cas d'espèce était sans conséquence financière significative pour l'entreprise.
Souvent le compromis consiste donc pour le contribuable à accepter un rappel qui ne lui coûte rien en échange de l'abandon d'un rappel qui lui coûte. Qui est le dindon de la farce ? Le Trésor Public.
De plus, dans certains cas, les rappels sont tellement délirants que les contribuables ne les paieront jamais. Les petites sociétés font faillite. Les particuliers deviennent insolvables à vie ou font appel à la commission de surendettement. Au final, les rappels ne sont jamais payés. Mais ils sont pris en compte dans les statistiques.
Selon moi, cette logique du chiffre à tout prix est néfaste et devrait être abandonnée au profit d'une approche plus qualitative.
Je ne conteste pas la nécessité d'imposer des critères d'efficacité pour motiver et noter les agents des impôts mais seuls les rappels utiles pour les finances de l'Etat devraient être retenus dans les statistiques. Il ne sert à rien de mesurer le vide.
Les services fiscaux devraient renoncer à faire des rappels quand il y a un doute, sur le droit ou sur les faits. Ce premier principe du doute raisonnable profitant au contribuable devrait être inclus dans la loi. Il permettrait par exemple de faire échec à un rappel basé sur une règle obscure que même les meilleurs fiscalistes ont du mal à maîtriser. Il est vrai que ce serait une révolution de refuser d'appliquer les règles incompréhensibles car le code général des impôts en contient une importante collection.
Les contrôleurs devraient volontairement limiter les rappels et les pénalités à des montants raisonnables. Seule l'infraction flagrante devrait donner lieu à des pénalités significatives. Il faudrait donc respecter un deuxième principe général selon lequel un rappel fiscal doit rester raisonnablement proportionnel aux impôts éludés.
Les comportements frauduleux doivent être sanctionnés mais, selon moi, cela devrait être uniquement le rôle de la justice pénale.
Il manque aussi une procédure de faillite fiscale qui permettrait aux contribuables défaillants de pouvoir bénéficier d'un effacement des dettes fiscales, en échange d'un engagement de bonne conduite fiscale dans l'avenir.
Les agents des impôts comme conseils
Si vous contactez les services fiscaux pour demander un conseil ou un avis, vous recevrez généralement un bon accueil.
Pour autant, les agents des impôts ne sont pas toujours d'un niveau technique suffisant pour répondre correctement aux questions posées.
Il m'arrive souvent de rencontrer des clients qui ont pris des positions erronées et sont pourtant convaincus de leur bon droit, suite au mauvais conseil oral donné par un agent des impôts.
En effet, le rôle d'un agent des impôts n'est pas de connaître la fiscalité dans son ensemble, ce qui est en fait impossible, même pour un avocat fiscaliste de très haut niveau comme moi.
La fiscalité, c'est effroyablement complexe. Il faut des années d'expérience pour devenir un bon fiscaliste. A titre personnel, plus je vieillis, plus je deviens compétent et plus je me rends compte de l'étendue de mon incompétence. Le fiscaliste est comme l'astrophysicien. Plus il met à jour des secrets de l'univers, plus il se rend compte de l'étendue infinie des mystères restant à élucider.
Il est impossible de répondre sérieusement à une question fiscale un peu compliquée sans faire une étude de la documentation. Je précise souvent à mes clients que seule une consultation écrite permet de répondre sérieusement à leurs questions. Bien sûr une consultation écrite c'est plus cher qu'un simple rendez-vous, c'est plus cher mais c'est nettement plus sérieux.
Cela étant, si un agent des impôts répond à une de vos questions et que cette réponse vous plaît, il faut lui faire confirmer par écrit ou au moins faire un compte rendu de la question et de sa réponse et lui envoyer par courrier avec accusé de réception pour se ménager un moyen de preuve de l'existence de cette réponse.
En pratique, le meilleur moyen d'avoir une réponse sérieuse (et opposable) de l'administration fiscale est de faire une question écrite sous la forme d'un rescrit. Elle sera traitée par un agent des impôts spécialement chargé de répondre aux questions et qui a généralement toute la compétence nécessaire.
Observations suites à certaines critiques figurant dans les commentaires
Mes propos ne sont pas faits uniquement dans mon intérêt
C'est vrai que, dans cette note, je fais remarquer incidemment que les contribuables ont besoin des avocats fiscalistes pour se défendre mais ce n'est pas l'objet principal de mon propos.
Mon propos est de conseiller les contribuables et aussi de faire quelques propositions de réforme. Ces propositions ne sont pas faites dans mon intérêt, c'est même le contraire.
Le jour où la fiscalité sera simple et où il n'y aura plus de rappels délirants, je devrais changer de métier.
Mes propos ne sont pas diffamatoires
Quand j'affirme que les rappels fiscaux sont souvent délirants, je me base sur mon expérience de 25 ans d'avocat fiscaliste. Cette position est généralement partagée par les avocats fiscalistes et des experts-comptables avec qui je discute du sujet. S'ils étaient libres de parole, je pense que la plupart des agents des impôts vérificateurs l'admettraient également. En tout cas, c'est ce qu'ils disent en privé ou quand ils quittent l'administration pour devenir avocat fiscaliste. Si la direction centrale de la DGFIP en doute, je suggère qu'elle demande à un institut indépendant de faire un sondage en ce sens.
Il suffit de lire une revue fiscale pour trouver de nombreuses illustrations de mes propos sur les rappels délirants.
Je peux fournir une quantité d'exemples, concrets et vécus, de rappels excessifs. J'en ai parfois évoqué certains dans les notes de ce blog.
Bien sûr, je ne peux pas établir de statistiques scientifiques sur le pourcentage et l'importance des rappels excessifs.
Bien sûr, les médecins ne voient (en principe) que les malades et les clients qui ont des rappels incontestables ne viennent pas (trop) voir les avocats fiscalistes. Donc ma vision des choses peut être déformée. Je le reconnais.
Il n'en demeure pas moins que les rappels délirants ne sont pas l'exception qui confirme la règle, que les rappels délirants ne sont pas le fait de quelques moutons noirs isolés. Ils sont nombreux et leur proportion est significative.
A qui la faute ?
Comme je l'ai déjà indiqué, l'objet de cette note n'est pas de faire le procès des agents des impôts.
J'ai le plus profond respect pour les agents des impôts. Leur travail est essentiel et difficile. Les contribuables doivent payer leurs impôts pour financer les routes et les écoles. De nombreux contribuables font des erreurs et certains violent la loi fiscale volontairement. Il faut un gendarme pour faire respecter la loi. A titre personnel, je respecte la réglementation, je déclare toutes mes recettes, et je paie mes impôts.
Les agents des impôts ne sont pas responsables de la complexité délirante du droit fiscal. Il faut l'imputer à nos politiciens démagos, mais aussi à toute la société. Chaque citoyen a tendance à réclamer une niche fiscale à son profit.
Les agents des impôts ne sont pas responsables si des lois fiscales prévoient des sanctions inadaptées.
Les agents des impôts sont disciplinés, heureusement. Ils se doivent d'appliquer la politique de rappel définie par la direction centrale de la DGFIP, même si elle est inadaptée et contradictoire.
Cela dit, il y a plusieurs façons d'exercer son métier.
J'ai heureusement rencontré de nombreux agents des impôts qui faisaient "une application mesurée de la loi fiscale", c’est-à-dire qui refusaient d'appliquer les textes légaux aux résultats absurdes. J'ai rencontré des agents des impôts qui faisaient des reconstitutions de chiffre d'affaires raisonnables. J'ai rencontré des agents des impôts qui refusaient de faire du chantage en menaçant d'appliquer des majorations pour obtenir des acceptations des rappels. J'ai rencontré des agents des impôts qui reconnaissaient le caractère incompréhensible des textes et qui renonçaient à en faire une interprétation douteuse. J'ai rencontré des agents des impôts qui, après avoir fait un rappel délirant, reconnaissaient leur erreur et finissaient, après discussion, par y renoncer. Je profite de cette note pour les remercier vivement.