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Gestion fiscale du patrimoine privé

Démêlez les noeuds de la fiscalité
samedi, 28 mars 2020 05:24

Virus et remise de loyers

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A cause de la crise liée au virus, de nombreux locataires, entreprise ou particulier, ne pourront pas payer leurs loyers. Le propriétaire peut-il leur accorder des délais de paiement ou même des remises définitives sans risquer un rappel fiscal ?

Cette question peut surprendre mais il y a un principe général en fiscalité c'est celui de l'interdiction de l'acte anormal de gestion.

C'est une pure invention du Conseil d'Etat.

L'idée est que toute entreprise est tenue de rechercher le maximum de profits, en évitant les dépenses inutiles, et sans renoncer à des recettes.

Il s'agit au fond d'imposer une forme de manichéisme fiscal : soit vous faites dans l'action sociale, vous êtes un organisme à but non lucratif et il vous est en principe interdit de chercher à faire des profits, ce qui vous permet d'échapper aux impôts des activités lucratives, soit vous faites dans la recherche de profits et il vous est interdit au contraire de faire dans le social et le généreux (sauf exception prévue par la loi).

Il est en effet possible d'admettre la déduction des charges d'une activité, et ainsi le cas échéant de créer des déficits imputables, mais à condition que ces charges soient vraiment relatives à une activité gérée normalement vers la recherche du profit.

La réglementation impose une cohérence de comportement pour éviter d'avoir à faire des calculs complexes sur le droit de déduire les charges et d'imputer les déficits.

Pour les particuliers dans le cadre de la gestion de leur patrimoine, la recherche de profits n'est pas une obligation.

Chacun gère son patrimoine relativement librement et nul n'est tenu d'être obsédé par la rentabilité de ses placements. Vous pouvez prêter un bien ou de l'argent. Il est également permis d'être bénévole, et même d'être un salarié sous-payé.

Cette liberté d'action du particulier dans la gestion de son patrimoine est liée au fait que le particulier ne peut pas en principe déduire de son revenu les charges de son patrimoine.

Il y a deux réserves importantes dans ce principe de libre gestion du patrimoine privé.

La première est relative à la taxation des libéralités avec la taxation des donations. Mais le prêt d'un particulier n'est pas traité comme une donation au plan fiscal.

La deuxième réserve est le régime des revenus fonciers : en cas de location d'un immeuble, le contribuable doit louer à un niveau normal. Vous pouvez prêter un immeuble mais, si vous le louez, vous ne pouvez pas le louer pas cher.

Il est fait application en matière de revenus fonciers de la même théorie de l'acte de gestion anormal qu'en matière de revenus commerciaux. En effet, en revenus fonciers, les charges sont déductibles et cette déduction implique la recherche de profit maximal.

Dans cette logique, il n'est pas admis en principe pour un bailleur d'accorder des délais de paiement ou des remises définitives de loyers.

En application de la théorie de l'acte anormal de gestion, les services fiscaux sont en droit d'exiger la rectification des recettes pour y inclure les recettes omises par une renonciation volontaire.

Mais il a été admis, aussi bien en fiscalité d'entreprise qu'en revenus fonciers que, dans certains cas, une bonne gestion de l'activité implique des remises et des reports de paiement.

Exiger le paiement des loyers dans les délais et en totalité peut aboutir à aggraver les difficultés du locataire. Or si le locataire ne peut plus payer, il n'est pas nécessairement facile pour le bailleur de l'expulser et de trouver un nouveau locataire solvable.

Le coût de la procédure d'expulsion et de la vacance locative peuvent être très élevés.

Il peut donc être parfaitement cohérent et de bonne gestion, pour un propriétaire, de faire preuve de modération.

En matière de revenus fonciers, le Conseil d'Etat a admis cette approche réaliste de la gestion normale (CE 29-5-1991 n° 75021, 7e et 8e s.-s., Winter et CE 29-5-1991 n° 75022, 7e et 8e s.-s., Kauffmann : RJF 7/91 n° 956.)

En pratique, un propriétaire qui accorde des remises ou des délais doit se ménager des preuves du caractère normal et sensé de son comportement.

Il faudra par exemple qu'il démontre que son locataire était proche de la faillite s'il s'agit d'une entreprise ou de l'insolvabilité s'il s'agit d'un particulier. Il peut aussi de démontrer qu'un changement de locataire aboutirait à réduire ses profits à cause de la durée de la vacance locative. Il est aussi reconnu aussi par exemple par les experts immobiliers que le fait de demander un loyer réduit permet de se prémunir des impayés car les locataires qui profitent d'un loyer réduit prennent grand soin à conserver leur bail.

Si les enjeux sont importants, le bailleur devra selon moi se ménager une preuve par l'avis officiel d'un tiers, avocat ou huissier, qui attestera du caractère raisonnable d'une remise, compte tenu des inconvénients d'une mesure de recouvrement forcé.

Notez que le comportement ainsi modéré du bailleur n'a en principe rien à avoir avec la bonté. Il doit démontrer qu'il agit en fait dans son propre intérêt.

Cela étant, sur cette question de l'acte anormal de gestion, il y a toujours une certaine marge de manœuvre. Le juge fiscal n'est pas là pour donner des leçons de bonne gestion. Ce sont surtout les abus manifestes qui sont sanctionnés et notamment quand les abandons de loyers, ou les loyers trop faibles, sont accordés à des parents ou des amis du propriétaire.

Donc une bonté modérée peut être tolérée.

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