Selon un deuxième principe, chaque citoyen a le droit et le devoir de défendre l'intérêt général. La défense de l'intérêt général consiste notamment à s'assurer que les intérêts personnels des citoyens les plus démunis soient défendus car ils n'en ont pas toujours les moyens.
Ces deux principes sont partiellement contradictoires et il convient de rechercher le meilleur compromis possible entre les intérêts particuliers et l'intérêt général.
Il est souvent à tort considéré que la défense des intérêts personnels serait illégitime, voire immorale. C'est une erreur. Nous avons au contraire l'obligation morale de défendre nos intérêts personnels car sinon qui le fera ? Il est vrai qu'en pratique la plupart des gens ont une tendance à défendre excessivement leurs intérêts personnels au détriment de l'intérêt général. Mais cela n'enlève pas le caractère légitime de la défense des intérêts personnels.
La défense de l'intérêt général aboutit à mettre en place des services publics et l'assistance aux plus démunis. Pour financer tout cela, il faut faire payer des impôts.
La défense de l'intérêt général aboutit à l’impôt.
Chaque citoyen doit payer l'impôt car l'impôt est utile à la défense de l'intérêt général. Il est même utile à l'intérêt bien compris de chaque citoyen car l'impôt finance aussi des services publics qui profitent à tous, même si c'est sous une forme mutualisée.
Mais, en vertu du principe de la défense des intérêts personnels, chaque citoyen cherche à payer le moins possible d'impôt.
Ce principe aboutit à l'évasion fiscale.
Les différents types d'évasion fiscale
Il y a plusieurs moyens d'éviter de payer trop d'impôt.
Le premier consiste à utiliser les niches fiscales, c’est-à-dire des régimes spéciaux mis en place par l'Etat pour encourager tel ou tel type de comportement.
La loi fiscale est donc une source directe d'évasion fiscale et c'est l'Etat qui incite les citoyens à en profiter.
Un deuxième type d'évasion fiscale consiste à contourner la loi de manière grossièrement abusive, c'est-à-dire à profiter des imprécisions de la loi pour réaliser des schémas artificiels d'évasion. Ce type d'évasion est interdit en France car il est qualifié d'abus de droit. Il est presque assimilé à de la fraude fiscale puisqu'il fait l'objet d'une pénalité égale à 80 % de l'impôt éludé. Or c'est ce même taux qui s'applique aux manœuvres frauduleuses.
Le troisième type d'évasion fiscale est en zone grise. Ce n'est pas une évasion voulue par la loi mais ce n'est pas non plus de l'abus de droit. En pratique la frontière est souvent difficile à définir. Mais ce n'est pas parce que la frontière est incertaine que la distinction est fausse.
Tout le monde pratique l'évasion fiscale
Il est de bon ton de condamner les sociétés américaines pour leurs pratiques d'évasion fiscale. Mais toutes les grandes sociétés, y-compris les françaises, pratiquent allègrement l'évasion fiscale, en profitant des gros trous du filet du droit fiscal international.
Cela étant, les firmes mondiales n'ont pas le monopole de l'évasion fiscale. Les PME et les particuliers pratiquent aussi l'évasion fiscale. C'est moins spectaculaire, mais toute proportion gardée, c'est exactement du même niveau.
Si vous devez quitter votre résidence principale et la vendre, vous n'allez pas attendre plusieurs mois après l'avoir quittée pour la vendre. Vous n'allez pas la louer quelques années avant de la revendre, même si ce serait plutôt judicieux sur un plan économique. Vous allez la vendre juste au moment de votre départ et cela parce que vous pouvez bénéficier de l'exonération de plus-value en cas de vente de la résidence principale.
Donc vous faites de l'évasion fiscale. Vous faites évoluer artificiellement vos choix personnels, pour optimiser votre fiscalité.
En tant qu'avocat fiscaliste, je réalise une partie significative de mon chiffre d'affaires en vendant des produits d'évasion fiscale à des particuliers et à des dirigeants de PME.
L'évasion fiscale est légale
Dans la discussion sur les frontières de l'abus de droit, le Conseil d'Etat a admis un principe selon lequel, entre deux voies, nul n'est tenu de choisir la plus imposée. Pour le Conseil d'Etat, les citoyens sont donc en droit de décider volontairement de payer moins d'impôt.
En dehors de l'abus de droit, il y a donc bien une évasion fiscale parfaitement légale. Mais est-elle morale ?
Un comportement légal n'est pas nécessairement moral
Rappelons en effet que ce n'est pas parce que quelque chose est légal qu'il est forcément moral. Il est parfaitement légal de tromper sa femme mais c'est moralement douteux. Il n'est pas interdit d'être grossièrement impoli, mais c'est mal.
La fraude fiscale est nécessairement immorale
Il est certain tout d'abord que nous devons tous contribuer aux dépenses publiques. Il est immoral d'échapper à l'impôt car l'impôt est juste et nécessaire pour financer les services publics.
La fraude fiscale est selon moi nécessairement immorale car il appartient à chaque citoyen de respecter la loi, démocratiquement fixée par le peuple.
La loi fixe la règle du jeu social et nous devons strictement nous y conformer car son respect par tous permet de respecter le principe d'égalité des citoyens
Il est fréquent d'entendre des propos du genre "je n'ai pas de scrupule à frauder, vu l'usage que les politiciens font de notre argent".
Je suis le premier à reconnaître que l'Etat est très mal géré. Cela étant, la solution est d'agir pour qu'il soit mieux géré, par exemple en votant pour des hommes politiques honnêtes qui refusent la démagogie. De plus, si l'Etat est mal géré, ce n'est pas non plus un système de détournement généralisé ou une immense gabegie. L'Etat assure l'essentiel et fournit les services publics demandés.
La mauvaise gestion de l'Etat ne peut justifier ni la fraude ni l'évasion.
Un autre argument que j'entends beaucoup chez mes clients, c'est "j'ai déjà donné". Autrement dit, je paye déjà beaucoup d'impôts, j'estime avoir déjà largement rempli mon obligation civique de contribuer aux dépenses publiques.
Mais ce n'est pas à chaque citoyen de fixer, pour lui-même, le niveau d'imposition qui serait moralement acceptable.
L'évasion fiscale est morale car la loi ne l'interdit pas
Il pourrait être prétendu que la distinction entre la fraude et l'évasion est une forme de juridisme commode.
Au fond, l'évasion et la fraude permettent aux riches contribuables et aux entreprises de ne pas payer leurs impôts, au détriment des pauvres. Le résultat est le même et il est immoral. Donc l'évasion serait autant immorale que la fraude.
Mais s'agissant de l'évasion fiscale, le principe de défense de ses propres intérêts s'impose.
Nous avons l'obligation morale de défendre nos droits et nous avons donc même l'obligation morale de pratiquer l'évasion fiscale car nous n'avons pas à payer plus d'impôt que les autres, à situation égale.
Le respect de l'intérêt général n'implique par l'auto-destruction.
C'est à la loi de fixer les règles et, autant nous devons respecter la loi pour payer l'impôt, autant nous sommes en droit d'invoquer le respect de la loi pour pratiquer l'évasion fiscale.
Comparaison sportive
Dans un match de foot, les règles sont précises et il faut les respecter. Honte à l'équipe qui violerait les règles du jeu pour gagner ses matchs, même si l'arbitre ne le voit pas. Le manque de vigilance de l'arbitre ne fait pas partie du jeu.
Mais si l'équipe a une tactique défensive, à la fois très ennuyeuse pour le spectacle et très efficace pour gagner, il n'est pas possible de lui reprocher.
Comparaison avec le code de la route
Si je respecte le code de la route, il n'y a pas lieu de me reprocher au plan moral un comportement douteux parce que, par exemple, je ne laisse pas passer les piétons alors que le feu est vert pour le passage des voitures.
Comparaison avec les normes de pollution
Si je suis fabricant automobile, il n'est pas immoral de m'en tenir au respect des normes de pollution, sans aller au-delà, car tous les fabricants automobile sont en situation de forte concurrence et je ne peux pas me permettre de réduire ma marge en faisant du zèle écologique.
L'obligation morale de faire changer la loi
Il arrive souvent que la loi soit critiquable.
Mais, sauf si elle est abominable, je dois l'appliquer par respect pour la démocratie.
Inversement, je suis en droit d'en profiter si elle me donne des avantages, même excessifs.
Cela étant, en tant que citoyen, j'ai aussi l'obligation d'agir pour essayer de modifier la loi.
Si la réglementation fiscale prévoit un impôt spoliateur, mon devoir de citoyen est de payer cet impôt mais aussi d'agir pour le faire réduire et le ramener à un niveau raisonnable. Par exemple, si je considère que l'ISF est spoliateur, mon devoir de citoyen est de le payer et d'agir pour en obtenir la réforme.
Inversement, si je suis un constructeur automobile citoyen, je suis en droit de profiter des normes anti-pollution trop peu sévères mais j'ai aussi l'obligation morale d'agir pour faire durcir ces normes pour les rendre plus protectrices de la santé publique. C'est d'autant plus vrai que je suis bien placé pour faire évoluer ces normes et ce mode d'action sera bien plus efficace que l'action isolée car si les normes sont durcies, tous les constructeurs devront les respecter. En tant que constructeur automobile, mon honneur est de vendre des voitures propes et de ne pas empoisonner les êtres humains.
Il y a des schémas d'évasion fiscale légaux mais contestables, je dois à la fois les dénoncer et en profiter.
En tant qu'avocat fiscaliste, face à des schémas d'évasion fiscale très avantageux pour les contribuables et anormalement coûteux pour les finances publiques, mon devoir est, d'une part, d'en faire profiter mes clients et, d'autre part, de les dénoncer au niveau publique pour les faire supprimer pour l'avenir.
Conclusion : l'évasion fiscale c'est moral d'en profiter mais parfois il faut la dénoncer.